VALLE-INCLÁN (R. del)

VALLE-INCLÁN (R. del)
VALLE-INCLÁN (R. del)

«L’art peut suivre deux voies: l’une est celle de l’architecture et de l’allusion, logarithmes de la littérature; l’autre celle des réalités telles que les montre le monde. On dit que c’est ainsi que Vélasquez peignit ses chefs-d’œuvre...» Ces deux voies qu’il indique lui-même, Valle-Inclán les suivit tour à tour. Sa première manière, marquée par la mélodie des rythmes, l’éclat des images, l’exaltation et le raffinement des sensations, en fait, auprès de Rubén Darío et de Juan Ramón Jiménez, l’un des plus grands artistes du «modernisme» en Espagne. Mais la seconde étape de son évolution, infléchie par une conscience amère du présent et du passé récent de son pays, traduite en évocations tragiques et burlesques d’une réalité qui lui paraît de plus en plus dérisoire, le rapproche, par son pessimisme critique, des écrivains de la «génération de 98». Selon une formule lapidaire de Dámaso Alonso, Valle-Inclán est passé «de Scylla en Charybde, du revers à l’envers d’une même vision du monde».

La nature exacerbée de son génie, le puissant élan de liberté qui soulève sa création, l’originalité et l’impétuosité de son caractère font de Valle-Inclán le type même de l’écrivain inclassable. Dans un sonnet fameux, Rubén Darío disait à son propos: «J’ai l’impression de sentir et de vivre, près de lui, une vie plus intense et plus rude.»

«Entre mon époque et moi il y a eu maldonne...»

Ramón María del Valle-Inclán naquit à Villanueva de Arosa, dans la province de Pontevedra, en Galice, où se déroule, dans une vieille demeure, son enfance obscure. Après des études à Pontevedra et Saint-Jacques-de-Compostelle, ayant vite renoncé à la carrière d’avocat, il va pour la première fois au Mexique en 1892. De retour à Madrid, il participe activement à la vie littéraire, artistique et bohème de la capitale; il y devient une personnalité marquante et pittoresque. En 1899, à la suite d’une querelle de café, il doit être amputé d’un bras. En 1907, il épouse une actrice, Josefina Blanco. Puis, en 1910, il accompagne au Mexique la troupe théâtrale de Guerrero Mendoza dont il est directeur artistique. C’est sur l’invitation du gouvernement français qu’il visite la ligne du front en 1916 et en rapporte des chroniques de guerre. Il fera un troisième voyage au Mexique et s’installera de nouveau à Madrid après 1924. Son opposition à la dictature de Primo de Rivera lui vaudra d’être arrêté (1929). Sous le gouvernement républicain, il est nommé directeur de l’Académie espagnole des beaux-arts à Rome. Il mourut à Saint-Jacques-de-Compostelle. Avec sa longue silhouette barbue et chevelue, ses besicles à l’ancienne, son verbe haut, sa fantaisie débordante, sa générosité altière, son humeur batailleuse et son humour souvent féroce, Valle-Inclán fut une des figures les plus saillantes de son époque. Ses prétentions nobiliaires, les mille anecdotes extravagantes de son existence dissimulaient une personnalité qu’Antonio Machado révélait ainsi: «Don Ramón, comme don Quichotte, ignorait la peur; pour lui n’existait pas de peur qui ne pût être vaincue par l’esprit...»

«Salut, riant mensonge, oiseau de lumière...»

Ses premiers récits en prose, Femeninas (1895), Epitalamio (1897), doivent beaucoup à l’influence de Maupassant, de Barbey d’Aurevilly et de D’Annunzio. Les Mémoires du marquis de Bradomín, nouveau don Juan «laid, catholique et sentimental», sont la matière de sa première grande œuvre: les quatre sonates: Sonata de otoño (1902); Sonata de estío (1903); Sonata de primavera (1904); Sonata de invierno (1905). Le style, cadencé, harmonieux, riche en sonorités, réussit à créer une atmosphère de sensualité enveloppante et subtile, pleine de langueur. Fleur de sainteté (Flor de santidad , 1904) et Jardin ombreux (Jardín umbrío , 1905) sont des contes ou des légendes inspirés par des motifs populaires galiciens, où affleure l’âme rêveuse et superstitieuse de la province natale de Valle-Inclán. La trilogie de La Guerre carliste a plus de sobriété et de force dramatique. On y retrouve, autour du marquis de Bradomín, des personnages chers à l’auteur: don Juan Manuel Montenegro, vieux seigneur féodal, le beau cadet Cara de Plata, le prêtre guerrier Santa Cruz, le chef de bande Miquelo Egoscué, et toute une foule de paysans, de soldats, de petites gens de Galice et de Navarre. Dans cette fresque animée, l’histoire et la fiction se mêlent habilement donnant une impression saisissante de vérité: Les Croisés du roi (Los Cruzados de la causa , 1908), La Lueur du brasier (El Resplandor de la hoguera , 1909), Comme un vol de gerfauts (Gerifaltes de antaño , 1909). Dans les derniers romans, le style est plus nerveux, plus elliptique, plus âpre, les personnages, stylisés jusqu’à la caricature, ou bien figés, comme des mannequins de cire, en des portraits grotesques. L’Arène ibérique (El Ruedo ibérico ), nouvelle trilogie, offre ainsi un spectacle cinglant de la cour décadente de la reine Isabelle II: La Cour des miracles (La Corte de los Milagros , 1927); Vive mon maître (Viva mi dueño , 1928), Atout épée (Baza de espadas , publication posthume en 1954), tandis que Tirano Banderas (1926) raconte, sur le mode tragi-comique et dans une langue étonnante à base d’espagnol et d’américanismes, l’histoire d’un tyranneau inaugurant la galerie des dictateurs d’Amérique latine dépeints dans la littérature.

«Devant la grille du jardin le char des comédiens attend...»

La première époque de Valle-Inclán, au théâtre, est celle des pièces épiques ou lyriques: El Marqués de Bradomín (1907), Cris de geste (Voces de gesta , 1912). Ce sont encore des personnages et des paysages de Galice que représentent les très belles et sauvages Comedias bárbaras : Aigle de blason (Águila de blasón , 1907), Romance de loups (Romance de lobos ), Visage d’argent (Cara de plata , 1922). La Marquesa Rosalinda (1913) contient déjà insidieusement des éléments de parodie; cette «farce sentimentale et grotesque» met en scène à la fois des personnages de la commedia dell’arte, de la comedia espagnole du Siècle d’or et de la comédie galante à la française. Dans cette œuvrette au lyrisme éperdu résonnent pourtant çà et là des accents plus grinçants. Divines Paroles (Divinas Palabras , 1920), tragi-comédie en prose d’ambiance rustique, haute en couleur, accentue la note tragique. Lumières de Bohême (Luces de Bohemia , 1924) est le type même de ce genre nouveau, inventé par Valle-Inclán, l’esperpento , déformation outrée, exacerbée, presque monstrueuse de la réalité, dans la lignée d’un Quevedo ou d’un Goya. «Les héros classiques reflétés dans des miroirs concaves, voilà l’esperpento », explique le protagoniste de Lumières de Bohême . Sous le titre de Tréteau de marionnettes (Tablado de marionetas , 1926), Valle-Inclán réunit en 1930 trois «farces» d’époques différentes: Farce enfantine de la tête du dragon (Farsa infantil de la cabeza del dragón , 1909), Farce italienne de l’amoureuse du roi (Farsa italiana de la enamorada del rey , 1920), Farce licencieuse de la reine ollé ollé (Farsa y licencia de la reina castiza , 1922). Cette dernière, la plus mordante, évoque sur le mode de la satire burlesque, la cour dérisoire de la reine Isabelle II dont les personnages fantoches animaient le Ruedo ibérico .

«Darío, dans l’ombre, me tend une main...»

Les trois recueils de poésie qu’écrivit Ramón del Valle-Inclán montrent la même évolution que le reste de sa production, de l’esthétisme idéaliste au réalisme critique. Arômes de légende (Aromas de leyenda , 1907), en charmantes estampes d’une intense plasticité, montre des motifs d’une Galice de légende. Plus dégagé de l’anecdote et de la description, Le Passager (El Pasajero , 1920), d’un lyrisme plus pur, révèle des élans mystiques. La Pipe de kif (La Pipa de kif , 1919), dans des tonalités plus âpres, suggère des déformations de caricature en accord avec l’esthétique des esperpentos .

Encyclopédie Universelle. 2012.

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